La Ballade De Robert Et Marie: Entretien Exclusif Avec Marie Léonor
En 1980, Marie Léonor enregistre une reprise en français de Johnny And Mary, la ballade électronique de Robert Palmer qui rencontre alors un joli succès dans plusieurs pays d'Europe. Lorsqu'il la découvre, l'artiste britannique se montre si enthousiaste qu'il retourne en France et assure la promotion de cette nouvelle version auprès de la jeune chanteuse. Ensemble, ils feront encore deux disques et quelques concerts. Si Marie Léonor a aujourd'hui tourné depuis longtemps la page de ses années chansons, elle a gentiment accepté d'y revenir en exclusivité pour ce site en répondant à mes questions.
Enfant, aviez-vous déjà des prédispositions pour la musique et pour le chant?
Marie Léonor: Oui, j'aimais chanter; je chantonnais tout le temps. On m'a raconté qu'à 5 ans, je fredonnais la chanson de Piaf, "Moi j'essuie les verres au fond du café/J'ai bien trop à faire pour pouvoir rêver" ('Les Amants D'Un Jour').
Avez-vous pris des cours?
ML: Vers 20 ans, j'ai passé quelques semaines dans une école de chant et de danse, mais ça n'a pas été concluant. J'ai découvert Barbara en travaillant sa chanson 'Göttingen'. Ce fut ma première émotion musicale.
Qu'est-ce qui vous a décidé à embrasser une carrière de chanteuse? A quel âge ?
ML: Le hasard! A 23 ans, j'ai rencontré un auteur-compositeur, Loppo Martinez, sur le tournage du film 'Un Moment D'Egarement' de Claude Berri (sorti en 1977, avec Jean-Pierre Marielle, Victor Lanoux et Agnès Soral). Dans le film, il jouait de la guitare avec un groupe de musique gitane pour célébrer un mariage sur la plage de Saint-Tropez. Loppo connaissait des personnes qui cherchaient à produire des disques (Nadine Laïk, ancienne impresario de Barbara, et Martine Valmont). Il me les a présentées.
En consultant la pochette de votre premier album, on remarque des noms connus: Luc Plamondon a écrit le texte d'une chanson, tout comme le cinéaste Bob Decout, Paul Ives a fait des musiques et Jean Schultheis est crédité pour tous les arrangements. Vous aviez beaucoup d'espoir placé dans ce premier album?
ML: Mon premier album était un mélange de chansons que la maison de disques avait collectées avant de me connaître. Elles n'étaient pas écrites spécialement pour moi. J'ai écrit mon premier texte, 'Besoin D'Être Aimée', pour cet album, sur une musique de Loppo Martinez. Et 'Lover' avait été écrit par mes productrices sur une musique de Paul Ives.
En écoutant 'Lover', on pense un peu à Véronique Sanson. Êtes-vous d'accord avec ce rapprochement? Si oui, était-ce intentionnel?
ML: En 1972, j'avais 17 ans, Véronique Sanson avait sorti son premier album, 'Amoureuse', et je l'écoutais en boucle. Je connaissais tout par coeur! C'est sur son disque que j'ai appris à chanter en quelque sorte! J'ai certainement eu son influence pour 'Lover', mon deuxième 45T. Quand j'ai fait le premier, 'Le Parfum Des Îles', en 1978 (sur une musique de Loppo Martinez, avec un texte de Dominique Blanc-Francard, célèbre ingénieur du son et producteur qui travaillera quelques années plus tard avec Robert Palmer sur le mixage de son album 'Pride'), je n'avais jamais entendu le son de ma voix enregistrée!
Vous souvenez-vous de vos premières interviews? De vos premiers passages télé?
ML: Oui. Pour les premières télés, avec 'Le Parfum Des Îles', j'étais tétanisée. Je découvrais un monde nouveau. J'ai fait des 'Numéro Un' (populaire émission de variétés créée par Maritie et Gilbert Carpentier, diffusée de 1975 à 1982) avec Eddy Mitchell, Johnny Hallyday, Julien Clerc,... mais ils étaient plutôt froids. Je n'aimais pas trop ça... Un 'Numéro Un' avec Francis Perrin aussi, très sympathique.
Venons-en à votre version de 'Johnny And Mary' qui se trouve sur le deuxième album 'Haute Tension'. Qui a eu l'idée de cette reprise?
ML: C'est Boris Bergman (grand parolier, à l'origine des premiers tubes d'Alain Bashung) qui a fait la reprise et me l'a proposée.
Boris Bergman a non seulement signé l'adaptation en français du texte original de Robert Palmer mais il a aussi écrit plusieurs autres chansons sur l'album. Avez-vous collaboré directement avec lui? Alors que vous-même commenciez à écrire vos propres textes, quel regard portez-vous sur son travail?
ML: Je ne le connaissais pas encore et découvrais l'univers de ses chansons. J'aimais son côté décalé, son style un peu loufoque... Pour 'Haute Tension', nous avons travaillé tout un mois pour mettre les textes au point. C'était une découverte. Moi, j'avais encore écrit deux textes pour l'album. Je cherchais mon style. Je m'inspirais inconsciemment de ce qu'écrivait Boris. C'était un peu mon modèle.
Initialement, 'Johnny Et Marie' est sortie en face B du 45 tours 'Haute Tension'. Les nombreux passages en radio et la réception du public en ont rapidement fait la chanson-phare du "single", voire de l'album. Comment expliquez-vous ce choix initial? Vouliez-vous plutôt promouvoir une chanson originale ou était-ce la maison de disques?
ML: Oui, l'idée était de sortir la chanson-titre de l'album 'Haute Tension', de ne pas utiliser 'Johnny Et Marie' en premier parce que c'était une adaptation.
Fait plutôt inhabituel pour un artiste international reconnu, Robert Palmer s'est immédiatement intéressé à la version française de son tube. Il en a fait l'éloge dans des interviews; il a intégré des couplets en français lors de ses concerts; il a même réenregistré sa voix sur votre propre bande son pour faire en duo la promotion de votre version à la télévision française. Qui est à l'origine du premier contact et comment s'est déroulée votre première rencontre?
ML: C'est toujours Boris. Robert Palmer donnait un concert au Théâtre Mogador à Paris en octobre 1980. Nous sommes allés le voir avec mon équipe. Nous nous sommes rencontrés après le concert et nous avons diné ensemble, avec son manager, son éditeur et des personnes de sa maison de disques.
Deux de vos prestations avec Robert Palmer à la télévision sont toujours visibles sur le net. La première se passe au balcon d'un hôtel surplombant la mer. Vous êtes au seuil de vos chambres respectives et ne vous adressez pas un regard, ce qui colle plutôt bien à l'esprit de la chanson. La seconde prestation est plus incongrue: vous chantez en direct dans le 'Collaro Show' à l'issue d'un sketch sensé se passer dans un restaurant. Robert et vous êtes attablés. Déguisé en serveur, Stéphane Collaro demande ce qui vous ferait plaisir et Palmer de répondre en français : "Chanter!" Et c'est vrai que c'est ce qu'il aimait faire. Il paraît qu'il chantait tout le temps... Pendant la chanson, vous semblez à la fois concentrée et complice avec Robert. Vous souvenez-vous de ces tournages? Où était situé ce fameux hôtel au bord de la mer?
ML: L'hôtel se trouvait à Monaco... déjà un signe! On avait pour consigne de jouer l'incommunicabilité. C'est pour cela que nous paraissons sur la réserve. Pour l'émission de Collaro, c'était un peu le bazar. On n'avait pas répété mais on s'est amusés.
A l'été 1981, Robert Palmer et vous partagez encore l'affiche, cette fois pour une série de concerts en plein air, principalement dans le sud de la France (Fréjus, Cap-d'Agde,...). Comment s'est passée cette mini-tournée? Aviez-vous le trac?
ML: Je n'avais jamais fait de scène auparavant. Nous avions répété avec un petit groupe de jeunes engagé par ma maison de disques. Oui, j'avais le trac bien sûr! Les Stray Cats étaient en première partie aussi, pas mal alcoolisés et bagarreurs! J'avais peur de me faire jeter car le public n'était pas très "variétés". Je suis passée tôt, à 20h30. J'ai chanté une vingtaine de minutes. Ca s'est plutôt bien passé; l'accueil était bon. Palmer se marrait de me voir débuter comme cela à côté du groupe! Il m'avait fait confiance sans trop se poser de questions, je crois... C'était mon baptême du feu!
Robert Palmer produit aussi vos deux "singles" suivants ('Enroule-Moi'/'Amour Nomade' et 'Baby-O-Babe'/'L'Homme Que J'Aime'). Comment se sont passées les séances d'enregistrement? Avez-vous posé votre voix sur une bande son déjà travaillée ou étiez-vous en studio avec les musiciens réguliers de Robert (Dony Wynn à la batterie et Jack Waldman aux claviers)?
ML: Pour 'Enroule-Moi' et 'Amour Nomade', qui étaient des chansons écrites par Boris et Paul Ives, nous avons enregistré à New York avec son équipe. Pour 'Baby-O-Babe' et 'L'Homme Que J'Aime', je lui avais envoyé les maquettes de mes premières compositions à Nassau. Ca le faisait penser à Yoko Ono! Peut-être par un côté artisanal... J'avais accompagné la mélodie, que je composais à la voix car je ne suis pas musicienne, d'un instrumental d'un groupe de New Wave, pour lui donner une idée de ce que je voulais. Il a tout de suite été d'accord pour réaliser le disque et très heureux de le faire. Nous avons enregistré à Paris. Il avait invité en studio le meilleur bassiste du monde, Mick Karn (bassiste du groupe Japan, mort en 2011)! J'adore sa ligne de basse sur l'intro...
C'était avant ou après la tournée?
ML: C'était après la tournée d'été... en 1982?
Vous avez donc côtoyé Robert Palmer pendant plusieurs mois, en promo, en tournée et en studio. Comment était-il? Quel était son comportement dans le cadre du travail et en dehors? Quel principal souvenir gardez-vous de lui?
ML: Robert était très perfectionniste. Hyper concentré en studio, il écoutait les gens et donnait ensuite ses directives, très calmement. Les musiciens étaient heureux de jouer pour lui. Même si c'était mon disque, ils étaient là pour lui. Ils se connaissaient. En dehors du travail, il aimait se montrer léger, joyeux,... Il plaisantait tout le temps! On rigolait beaucoup malgré la barrière de la langue - mon anglais était plutôt basique. Il aimait qu'on lui parle en français. Il aimait notre langue, la cuisine française et le Cognac!
ML: En 1982, j'ai aussi fait la première partie de William Sheller à l'Olympia. Une semaine formidable sur scène, cette fois avec les musiciens d'Alain Bashung. Je les avais baptisés le KGDD, initiales de leurs noms (Manfred Kovacic, Olivier Guindon, François "Franz" Delage et Philippe Draï). J'avais aussi l'ingénieur du son de Daniel Balavoine, Andy Scott.
En 1983 paraît votre troisième album, 'Pas Déranger', que vous avez entièrement écrit et composé. Il est porté par la chanson 'Les Jardins De Tokyo' qui a toutes les qualités pour devenir un tube. Très attractive, la pochette du disque est signée Jean-Baptiste Mondino, photographe et réalisateur de clips alors très en vogue. Rétrospectivement, comment expliquez-vous que le grand succès vous ait encore échappé?
ML: A vrai dire, je ne sais pas. Peut-être qu'il aurait fallu que je continue la scène après les concerts avec Robert Palmer et l'Olympia mais ce n'était pas prévu par ma maison de disques. Il me manquait le contact avec le public, je pense. En télé, je n'étais pas vraiment à l'aise. Je n'avais pas d'expérience car j'avais débarqué dans le métier sans y avoir été préparée. Il m'aurait fallu encore du temps pour mûrir et progresser. Avec l'album 'Pas Déranger', je commençais enfin à trouver mon style, même si les textes me semblent aujourd'hui parfois un peu hermétiques - j'avais toujours l'influence de Boris dans mon écriture. KGDD avait fait les arrangements avec beaucoup de talent. Malgré la reconnaissance du métier, ma maison de disques ne m'a pas suivie... Sur la pochette de l'album, c'est une vraie panthère attachée au sol. J'étais accrochée au lit et pas très rassurée!
Après un changement de maison de disques en 1984 et un nouveau "single" en collaboration avec David Koven, vous êtes invitée à poser vos mots sur une mélodie de Romano Musumara. La chanson 'Ouragan' se trouve finalement interprétée par la Princesse Stéphanie de Monaco en 1986. Elle connaît un succès fulgurant en France et en Europe, se vendant à deux millions d'exemplaires. Il a été écrit que votre texte, qui développe le thème du coup de foudre amoureux et de son potentiel dévastateur, était largement autobiographique. Les sentiments décrits dans la chanson seraient en fait les vôtres à l'égard de Robert Palmer quelques années plus tôt. Comme il y a désormais prescription, pourriez-vous le confirmer, voire nous en dire un peu plus?
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ML: Tout d'abord, après le 45 Tours avec David Koven ('Elle Manque A Sa Vie'), j'ai eu un enfant. Je devais refaire un disque et, cette fois, on m'a demandé mon avis. C'est moi qui ai demandé à ma maison de disques de contacter Romano Musumara parce que j'aimais bien son travail avec Jeanne Mas. Romano m'a donné la musique et j'ai écrit 'Ouragan' que je devais enregistrer. Mes productrices ont fait écouter ma maquette à Claude Carrère (également producteur) qui en a saisi le potentiel mais pensait qu'il valait mieux proposer la chanson à une personne connue. Ensuite, ma maison ne pouvant plus produire le disque pour des raisons financières, j'ai rompu mon contrat avec elle. La chanson a été proposée à Stéphanie. C'était une consolation... Effectivement, ce texte est inspiré d'une passion qui finit mal. De son côté, il (Robert Palmer) m'a dédié une chanson, 'Want You More', sur son album 'Pride' sorti en 1983. Il en a aussi fait une version aux sonorités orientales (sur l'album 'Ridin' High' en 1992) qui m'a rappelé 'Amour Nomade' que nous avions enregistré à New York. Un petit clin d'oeil que j'ai découvert récemment... une façon de répondre à mon 'Ouragan'.
Robert Palmer est mort d'une crise cardiaque en 2003, lors d'un bref séjour à Paris. Il avait seulement 54 ans. Vous souvenez-vous comment vous avez appris sa disparition et quelle a été votre réaction?
ML: Je l'ai apprise aux informations. Nous n'étions plus en contact depuis longtemps. C'était un choc, bien sûr. Il était encore jeune... et j'aurais aimé avoir la possibilité de le revoir un jour.
L'énorme succès d' 'Ouragan' vous a t-il surprise? Vous a t-il donné davantage confiance dans vos qualités d'écriture?
ML: Non, le succès de cette chanson ne m'a pas surprise. J'en étais persuadée. J'avais même démarché une autre maison de disques avec la maquette de ma voix. Le patron aussi était convaincu que c'était un tube mais il y avait des empêchements contractuels... Oui, sur le moment, cela m'a conforté dans l'idée que je voulais écrire, surtout pour les autres car je ne me sentais pas vraiment à l'aise en tant que chanteuse. Et puis, des problèmes éditoriaux sont venus s'ajouter à ça... Je n'en dirai pas plus parce que je ne veux pas ternir l'image de cette chanson que j'adore, qui est un petit miracle,... ni le travail de Stéphanie que j'ai apprécié, quoiqu'en disent les gens qui dénigrent la chanson.
En 1987, vous changez à nouveau de maison de disques et publiez un ultime "single", 'Vienne', qui ne connaît qu'un succès d'estime, frôlant l'entrée dans le Top 50 sans parvenir à s'y installer. Est-ce ce nouvel échec commercial qui met fin à votre carrière de chanteuse? La décision d'arrêter vient-elle de vous?
ML: La collaboration avec Jay Alansky (auteur-compositeur, ayant notamment travaillé avec Jil Caplan à la même époque) a été un bon tournant pour moi et cette chanson aussi avait du potentiel. Les problèmes éditoriaux ont duré trop longtemps et ont fini par me décourager. J'ai tiré un trait sur la musique. Je n'avais plus vraiment de contact dans le métier.
Au final, quel est votre sentiment général sur ces presque dix années de carrière dans la chanson et sur cette période de votre vie? Fierté? Nostalgie? Quelques regrets peut-être?
ML: Un peu tout cela... Je ressens une certaine fierté en écoutant mes anciens enregistrements parce que je pense que le niveau musical de l'époque était élevé, que les mélodies et les arrangements étaient soigneusement travaillés. Je suis nostalgique, bien sûr,... avec aussi le regret d'être peut-être passée à côté de quelque chose d'important. Ce n'est qu'après un long cheminement personnel que j'ai finalement repris confiance en moi, vers l'âge de 40 ans.
En 2021, vous entamez une seconde carrière, purement littéraire cette fois, en publiant votre premier roman, Les Couleurs D'Un Maître (aux éditions Le Lys Bleu), qui raconte l'histoire d'une femme partant sur les traces du peintre Nicolas de Staël. Qu'est-ce qui vous a donné l'envie d'écrire sous cette nouvelle forme?
ML: J'ai toujours écrit, mais ça s'est précisé après avoir arrêté ma période musicale. Il m'a fallu encore beaucoup de temps pour accepter de proposer mes textes à un éditeur.
Avez-vous un second livre en projet?
ML: Oui, je travaille dessus depuis un certain temps. Je suis plutôt lente! Si le résultat me plaît, je le proposerai à un éditeur.
Une dernière question qui revient à la musique: vos albums n'ont jamais été réédités et aucune de vos chansons ne figure sur les plateformes de téléchargement légales. Êtes-vous intéressée à rendre votre discographie à nouveau accessible et avez-vous des projets en ce sens?
ML: Oui, j'ai eu une proposition pour mettre ma discographie sur les plateformes. Curieusement, c'est par l'intermédiaire d'un artiste français du nom de Frantic (François-Olivier Nolorgues), qui a sorti en 2020 une version de 'Johnny And Mary' en anglais et en duo avec Robert Palmer, enregistrée quelques années avant sa disparition. Cela devrait se faire bientôt.
Propos recueillis en mars 2025
Un grand merci à Marie Léonor Barral pour sa confiance, la sincérité de ses réponses et le partage de quelques photos issues de sa collection personnelle.