Rendez-Vous Avec Le Moon (partie 2)
Comment es-tu devenu un artiste Capitol ?
"Un jour, par hasard, j’ai rencontré Jack Nitzsche qui m’a raconté qu’il allait produire un nouvel artiste du nom de Willy De Ville. Jack partait pour New-York, il a embarqué une cassette à moi dans l’avion. Je présume qu’il l’a écoutée, puisqu’à son retour, il m’a dit que Willy avait flashé sur Cadillac Walk. Il a décidé de l’enregistrer, le disque a marché et ça m’a permis de signer chez Capitol. C’est drôle parce que j’avais écrit cette chanson des années auparavant, en 73.
C’est très « cruising » comme chanson.
C’est normal, si tu considères que j’ai écrit un certain nombre de chansons au volant de mon pick up truck, comme Bad Case Of Loving You, par exemple. Comme j’étais coincé dans cette caisse à longueurs de journées, je commençais à chantonner en conduisant et, au bout d’un moment, la chanson finissait par se mettre d’elle-même en place. Bad Case, ça m’a pris trente minutes. Dès que je suis rentré à la maison, j’ai foncé sur un magnéto pour l’enregistrer, j’avais trop peur de l’oublier.
Que ressent un auteur-compositeur dont on reprend les chansons ?
En général, je suis assez content. Bien sûr, certaines reprises sont meilleures que les autres. Celle que je préfère parmi toutes, c’est la version anglaise de Cadillac Walk par les Cadillacs.
Et celle de Willy ?
Je l’aime bien aussi, mais celle des Cadillacs me ressemble plus.
Es-tu désormais un auteur riche ?
Ça dépend quel sens tu donnes au mot riche.
Je ne sais pas moi, est-ce que tu touches plus d’argent de Capitol ou des sociétés d’auteurs ?
Fifty-fifty on va dire. De toute façon, l’argent ne me fait pas galoper. Si vraiment j’avais voulu faire du blé, j’aurai accepté les offres pressantes de mon père qui voulait m’installer dans une pharmacie. J’ai refusé parce que je ne pensais pas au profit. C’était comme un challenge avec moi-même : est-ce que j’allais réussir à être bon ?
Ton dernier album a-t-il marché aux U.S.A. ?
Honnêtement, je crois qu'il a mieux vendu en Europe.
C’est un peu le problème de Willy De Ville qui est plus célèbre à Paris qu’à New-York.
Heu, tu sais, mes disques marchent quand même mieux aux U.S.A. que ceux de Willy. Je ne parle pas qualitativement, j’adore ce qu’il fait. Le problème avec les Etats-Unis, c’est que tu peux vendre 200 000 albums en restant complètement inconnu. Ce pays est si grand, c’est pour cela qu’il faut autant de temps pour percer. Les médias audiovisuels sont complètement réacs et la presse rock est inexistante. Rolling Stone n’a qu’un tirage dérisoire à l’échelle du pays.
Parle-moi un peu des chansons du LP que tu enregistres en ce moment à Nassau.
Une de celles que je préfère, c’est Witness, une histoire sur les magouilles politiques.
On y parle de Tonton Reagan ?
Pas du tout. D’ailleurs, je trouve que Reagan s’en tire assez bien. Il a même réussi sur des tas de points où Carter s’était planté. Si j’avais vraiment eu le choix, je n’aurais jamais choisi Reagan, mais entre Carter et lui… Pour revenir à cet album, if y a aussi Firing Line (peloton d’exécution) que j’aime assez, Paid The Price qui sonne un peu Fats Domino, une chanson que je fais sur scène depuis toujours et que Robert m’a décidé à enregistrer. Le premier single devrait être X-Ray Vision, tu sais comme Superman.
Quels sont les musiciens qui jouent avec toi ?
Moi, je fais la plus grande partie des guitares et des basses. Andrew Gold fait quelques guitares, ainsi qu’un jeune mec de L.A., un petit prodige du nom de Mark Christian. Pour la batterie et les claviers, j’utilise deux des musiciens de Robert : Dony Wynn et Jack Waldman. Robert fait une partie des claviers, le sequencer le reste, et tout le monde est content."
A ce stade de notre discussion, le chanteur a fait obliquer sa lourde caisse noire en direction de la Pacific Coast Highway. En fond sonore, la radio s’est mise à cracher du KROO, avec Dusty Street au micro, le genre de truc à faire bondir Moon. « Quoi, je déteste cette gonzesse qui n’est bonne qu’à passer des rock machos plus machos que les camionneurs d’Orange County ! ».
En remontant le long de l’océan, on a fini par rejoindre le freeway qui mène vers San Fernando Valley. Moon vit à Sherman Oaks où il passe son temps à plonger dans les pages des grands auteurs. Quelques Dickens, des Faulkner et (le croyez-vous) des Français à la pelle : Balzac, Flaubert, Rimbaud et Proust flirtent avec Truman Capote et Joyce.
Lorsque la Limo s’arrête devant chez lui pour le déposer, Moon est bien ailleurs. Il parle comme il rocke de ses plaines solitaires du Texas, si belles parce qu’elles sont si laides. Un pays où les nuits sont vraiment incroyables. Dans les plaines, les étoiles étincellent comme dans le désert, un show immuable qui se déroule comme un filon précieux inépuisable. Et au fait… la Lune Moon ? Mais John a déjà ouvert sa portière : il disparaît happé par les ténèbres et le chant des grillons.
Gérard Bar-David (Best - Mars 1982)
Voir aussi :
- Moon Martin Interview (2000)